Je m’intéresse aux approches thérapeutiques par le corps.
Pour moi, en premier lieu. Car j’arrive rapidement dans une impasse avec les approches par la parole. Une partie de moi maîtrise bien le langage et n’a pas prévu de laisser accès à mes parties blessées. Je tends alors à entrer dans une joute logique ou théorique ou bien à dévier la conversation ou à chercher à faire bonne figure. Autant dire que je risque d’avoir un pelage tout blanc avant de faire de réels progrès sur les problématiques qui m’amènent à consulter.
C’est ainsi que je m’intéresse de plus en plus aux approches psychocorporelles et au fonctionnement du système nerveux. Cela éclaire d’une lumière nouvelle à la fois mes blocages et les mécanismes de défense qui freinent leur déblocage. J’en suis venue à accorder une importance particulière à la sensation de sécurité.
La perception inconsciente de danger enclenche des réactions automatiques dans le corps qui modifie notre physiologie, notre comportement, notre psychologie. Pour des humains qui pensent que leur esprit et leur conscience sont aux commandes, il y a quelque chose de désarmant et d’humble à reconnaître que le corps réagit en permanence à l’analyse qu’il fait de l’environnement et module la chimie du corps et le fonctionnement du cerveau avant même que la conscience n’ait perçu quoi que ce soit. Les réactions automatiques aux dangers perçus ne sont toutefois pas toujours en phase avec le réel niveau de risque dans le présent. Leur corps pense et réagit de manière autonome. En comprenant ces mécanismes, on peut gagner en souplesse dans nos réactions et réentraîner le corps à la sécurité pour apaiser ses réactions automatiques.
Je parlerai plus tard de la théorie polyvagale (S. Porges) et de l’approche neurocognitive (J. Fradin) que j’explore en ce moment. Aujourd’hui, je voulais partager mon enthousiasme pour le livre de Bessel van der Kolk, psychiatre américain, spécialiste du stress post-traumatique : Le Corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du Traumatisme. Ouvrage déjà vendu à 3 millions d’exemplaires.
Le Corps n’oublie rien (2014, Bessen van der Kolk)
Commençons par l’évidence : c’est un pavé. Près de 500 pages. Mais d’une belle plume, qui rend la lecture passionnante en mêlant habilement trajectoire personnelle, connaissances neuroscientifiques et longue pratique clinique auprès de traumatisés.
Ce que je retiens :
- C’est une passionnante explication du fonctionnement du cerveau et du système nerveux, et des effets physiologiques et cérébraux durables des événements traumatiques.
- Les traumatismes correspondent autant à des évènements qui sont arrivés (guerre, accidents, agression) qu’à des négligences et le manque d’attachement pendant l’enfance.
- Les traumatismes couvrent des expériences dont « on ne veut pas entendre parler » en tant que société : guerre, inceste, mauvais traitements infantiles, misère sociale… cela explique en partie, selon lui, que si peu soit fait pour agir sur les causes véritables de nombres de maladies qui en découlent.
- Le livre est aussi éprouvant à lire dans la description de ce que certains (beaucoup) d’enfants ont eu à subir. Les chiffres avancés (3 millions d’enfants maltraités ou négligés tous les ans aux États-Unis) sont terrifiants. Idem pour les viols et les incestes.
- L’impact des mauvais traitements et agressions sur les enfants ont des impacts sur la santé adulte (obésité, système immunitaire défaillant, dépression…). Traiter les causes de ces dérèglements serait, sur quelques générations, plus efficaces que la recherche sur les médicaments et traitements miracles.
- Les événements traumatiques sont traités de manière particulière dans la mémoire. Parfois occultés, déconstruits, rendant difficile la reconnaissance des faits et parfois leur traitement judiciaire.
- On peut se remettre de traumatismes, d’autant plus que l’on a fait, à un moment dans son enfance, l’expérience de la sécurité. C’est une base pour reconstruire.
- La conscience du corps et le sentiment de sécurité sont clé pour la guérison.
- Des pratiques comme l’EMDR, le yoga, le théâtre, l’IFS, le neurofeedback ont été étudiées et ont fait leurs preuves pour contribuer à guérir les traumas. La pleine conscience, la cohérence cardiaque sont aussi des outils utiles sur le chemin.
Sélection de citations sur l’importance du corps, du toucher et de la sécurité :
« Il est crucial que le traitement d’un trauma porte sur l’ensemble de l’organisme, cerveau, corps, esprit. » (p. 79)
« Nous devons, avant tout, aider les patients à vivre pleinement et en sécurité dans le présent. » (p.105)
« Pouvoir se sentir en sécurité avec les autres est l’aspect le plus essentiel de notre santé mentale ; les liens rassurants sont indispensables à une existence épanouie et pleine de sens. (…) Le soutien social ne consiste pas seulement en la présence des autres. Le facteur crucial est la réciprocité : être vraiment vu et entendu par notre entourage, sentir qu’une autre personne nous porte dans son cœur. Pour que notre organisme se calme, guérisse et s’épanouisse, il nous faut un sentiment viscéral de sécurité. » (p. 116)
« Pour retrouver l’intimité, il faut faire des expériences de sécurité physique. » (p. 124)
« Les victimes de maltraitance infantile sont tendues, sur la défensive, jusqu’à ce qu’elles trouvent un moyen de se détendre et de se rassurer. Pour ce faire, elles doivent prendre conscience de leurs sensations et des interactions de leur corps avec l’environnement. La conscience physique est le premier pas pour se libérer de la tyrannie du passé. » (p. 145)
« Notre grand défi consiste à appliquer les connaissances en matière de neuroplasticité, soit la souplesse des circuits cérébraux, pour reprogrammer les cerveaux et réorganiser l’esprit des patients que la vie a conditionnés à voir les autres comme des menaces et à se percevoir comme impuissants. » (p. 233)
« La manière la plus naturelle d’apaiser sa souffrance consiste à être touché, enlacé et bercé. Cela calme l’hyperexcitation et donne le sentiment d’être intact, en sécurité, protégé et maître de soi. » (p. 292)
L’intérêt de la pratique du consentement par le toucher
Cela me conforte dans l’activité d’initiation au consentement par le toucher que j’ai lancée.
Le toucher affectueux et respectueux est l’un des moyens non chimiques les plus efficaces pour apaiser et rassurer une personne, grâce à la production de neurotransmetteurs associés au toucher (ex. ocytocine). Les séances proposent également une expérience de réciprocité. Le client peut recevoir (comme avec un masseur) mais aussi toucher le praticien. Chacun partage ses sensations, ses limites. C’est une expérience de co-régulation où chacun s’engage dans le présent et s’efforce de faire preuve d’authenticité.
Cet apprivoisement doux des sensations et de la proximité peut accompagner une thérapie par la parole, qui travaille sur les relations à l’autre, sur la proximité et les limites.
Lors des séances, encadrées par un code de conduite, un accord initial et axées sur la pratique du consentement, les clients peuvent faire l’expérience de la sécurité, en proximité physique avec une autre personne. Rien n’arrive qu’ils ne demandent.
Cela peut leur permettre de :
- réécrire l’histoire interne qui pose que les autres sont une menace.
- nourrir leur sensation d’avoir un contrôle sur leur vie, de pouvoir influencer ou arrêter ce qui arrive au lieu de le subir.
Je trouve magnifique d’avoir un lieu pour pratiquer cette proximité et ouvrir une autre voie dans la relation à l’autre.
Pour tout renseignement ou proposition de travail en partenariat, contactez-moi au 06.50.31.36.20
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